Fast links: Interglossa » Glosa »

L'élixir du révérend Père Gaucher

Alphonse Daudet, May 9, 1869

Ex: “Lettres de mon moulin”.

Mais le plus triste de tout, c’était le clocher du couvent, silencieux comme un pigeonnier vide, et les Pères, faute d’argent pour s’acheter une cloche, obligés de sonner matines avec des cliquettes de bois d’..amandier! Sed u maxi tristi ra; pa es u kampani-lo de konventi; qi ne dona u soni: e plu Patri pa habe zero valuta te merk u kampani; e es ge-dina de anunci matins per plu almondi kastaneti.
Le fait est que les infortunés Pères blancs en étaient arrivés eux-mêmes à se demander s’ils ne feraient pas mieux de prendre leur vol à travers le monde et de chercher pâture chacun de son côté. U faktu es; plu mali fortuna alba Patri pa veni a punkta; mu pa du qestio alelo; qe id sio es ma sofi; mu ki ab alelo; e singu pe face an auto via dia munda.
Or, un jour que cette grave question se debáttait dans le chapitre, on vint annoncer au prieur que le frère Gaucher demandait à être entendu au consil … Vous saurex pour votre gouverne que ce frère Gaucher était le bouvier du couvent; c’est-à-dire qu’il passait ses journées à rouler d’arcade en arcade dans le cloître, en poussant devant lui deux vaches étiques qui cherchaient l’herbe aux fentes des pavés. Il n’avait jamais pu rien apprendre qu’à conduire ses bêtes et à réciter son Pater noster; encore le disait-il en provençal, car il avait la cervelle dure. Fervent chrétien du reste, quoique un peu visionnaire, à l’aise sous le cilice et se donnant la discipline avec une conviction robuste, et des bras! Mo di kron mu pa du debata u-ci gravi qestio in kapitu; pe pa anunci a priori; fratri Gaucher volu dice in koncili … tu nece ski; u-ci fratri Gaucher es u bovi-pe de konventi; u-ci signifi; an pa du spende plu di vaga inter plu arca-via ago ante an bi famina fe-bovi; qi cerka gra kresce inter plu pavi. An pa gene ski de nuli-ra excepti ago plu animali; e dice an pater noster; plus-co, an pote dice solo provencali; ka an habe u no ge-uti cerebra. Plus-co, an pa es u zelo Kristi-pe, u sonia-pe, hedo infra kapila-kamina e severi auto-flagela. E an plu braki!
Quand on le vit entrer dans la salle du chapitre jambe en arriere, tout le monde se mit à rire. C’était toujours l’effet que produisait, quand elle arrivait quelque part, cetter bonne face grisonnante avec sa barbe de chèvre et ses yeux un peu fous; aussi le frère Gaucher ne s’en émut pas. Kron pe pa vide an ki in u kapitu-ka, mo poda retro, panto-pe proto ridi. U-ci es panto-tem u reakti; qi an boni grizi facia ko kapra barba e subo-rabi oku produce. Sed, u-ci ne pa turba fratri Gaucher.
Mes révérends, fit-il d’un ton bonasse en tortillant son chapelet de noyaux d’olives, on a bien raison, de dire que ce sont les tonneaux vides qui chantent le mieux. Figurez-vous qu’à force de creuser ma pauvre tête déjà si creuse, je crois que j’ai trouvé le moyen de nous tirer tous de peine. “Mi plu fratri”, an pa dice strepto an rosari de plu olivi nuci; “mu dice veri; kron mu dice; plu vaku vasa don u maxi boni toni. Imagina! per kogita ko mi pove cerebra mi kredi; mi pa detekti u mode gene na ex na plu turba.
Voici comment. Vous savez bien tante Bégon, cette brave femme qui me gardait quand j’étais petit. Je vous dirai donc, mes Révérends, que tante Bégon de son vivant, se connaissait aux herbes des monta. Voire, elle avait composé, sur la fin de ses jours, un élixir incomparable en mélangerant cinq ou six espèces de simples que nous allions cueillir ensemble dans les Alpilles. U-ci mode. Tu ski, posi, mi tanta Begon, u-la boni gina; qi pa kura pro mi; kron mi pa es infanti. Mi nece dic a tu, plu fratri, tanta Begon pa ski mega de plu monti-herba. Veri, a fini de vita fe pa face u magnifiko elixir per mixa plura herba; na pa more kolekti in monti.
Il y a belles années de cela; mais je pense qu’avec l’aide de saint Augustin et la permission de notre Père abbé, je pourrias - en cherchent bien - retrouver la composition de ce mystérieux élixir. Nous n’aurions plus alors qu’à le mettre en bouteilles, et à le vendre un peu cher, ce qui permettrait à la communauté de s’enrichir doucettement. U-la es multi anua retro; sed mi kredi; kon auxi de Sankto Augustin e ko permito ex na Patri Abbe; mi fu posi ko mega cerka, re detekti u komposi de u-ci misteri elixir. Na sio solo botilia e vendo id ko profito; qi fu pluto u komunita.”
Il n’eut pas le temps de finir. Le prieur s’était levé pour lui sauter au cou. Les chanoines lui prenaient les mains. L’argentier, encore plus ému que tous les autres, lui baisait avec respect le bord tout effrangé de sa cucule … Puis chacun revint à sa chaire pour délibérer; et, séance tenante, le chapitre décida qu’on confierait les vaches au frère Thrasybule, pour que le frère Gaucher pût se donner tout entier à la confection de son élixir. Pe ne pa don ad an u tem de fini. U priori pa sta; e peri-braki an. Plu kor-pe prende an plu manu … U valuta-pe, ma ge-sti de panto hetero-pe pa osku respekto u ge-skizo margina de an vesti. Po-co, panto-mu pa ki versi te kogita; imedia, u kapitulu decide; dona kura de plu fe-bovi a fratri Thrasybule; tende fratri Gaucher pote dona se holo a face un elixira.
Comment le bon frère parvint-il à retrouver la recette de tante Bégon? au prix de quels efforts? au prix de quelles veilles? L’histoire ne le dit pas. Seulement ce qui est sûr, c’est que au bout de six mois, l’élixir de Pères blancs était déjà très populaire. Dans tout le comtat, dans tout le pays d’Arles, pas un mas, pas une grange qui n’eût au fond de sa dépense, entre les bouteilles de vin cuit et les jarres d’olives à la picholine, un petit flacon de terre brune cacheté aux armes de Provence, avec un moine en extase sur une étiquette d’argent. Grâce a la vogue de son élixir, la maison des Prémontrés s’enrichit très rapidement. Komo u boni patri pa sucede de re trovi u formula de Tanta Begon? Qo plu eforti? Qanto plu vigi nokti? Histori taci de u-ci. Sed, mo ra es sura. A fini de sixa meno, un elixir de plu alba Patri es fo famo. In holo Venaissin regio, in holo Arles, ne un agri-lo, ne u grange, qi ne pa habe profunda in u stora-ka inter plu botilia de vina e plu olive-va, u mikro bruno vasa ko plu arma de Provence, e u monako in ekstasi epi un argenti bileta. Kausa poli popula de id elixira, u domi de plu Premonstratensi fo tako gene pluto.
Le prieur eut une mitre neuve, l’église de jolis vitraux ouvragés; et, dans la fine dentelle du clocher, tout une compagnie de cloches et de clochettes vint s’abattre, un beau matin de Pâques, tintant et carillonnant à la grande volée. U priori pa gene u neo mitra, e un eklesia gene plu neo fenestra; e mo kali Paska mana un holo kompani de plu mega e mikro kampani pa soni ex kampani-ka.
Quant au frère Gaucher, ce pauvre frère lui dont les rusticités égayaient tant le chapitre, il n’en fut plus question dans le couvent. On ne connait plus désormais que le Révérend Père Gaucher, homme de tête et de grand savoir, qui vivait complètement isolé des occupations si menues et si multiples de cloître, et s’enfermait tout le jour dans sa distillerie, pendant que trente moines battaient la montagen pour lui chercher des herbes odorantes … Cette distillerie, où personne, pas même le prieur, n’avait le droit de pénétrer, était une ancienne chapelle abandonnée, tout au bout du jardin des chanoines … De Patri Gaucher, u pove fratri; qi plu rura akti ta amusa un holo kapitu; pa es no-dura qestio in konventi. Ex nu, pe pa ski solo u Reverendo Patri Gaucher, un andro de mega inteligenz e ski; qi pa eko ge-insula ex plu poli mikro di-ergo de klostra; e es ge-klude un holo di in an laboratori; tem tri-ze monaku vaga epi monti cerka plu aroma herba. U-ci laboratori, in qi ze-pe, ne klu u Priori, habe u privilegi de ki in, es u paleo ge-linqi kapela a dista fini de horti de kanona.
Au jour tombant, quand sonnait le dernier Angélus, la porte de ce lieu de mystère s’ouvrait discrètement, et le Révérend se rendait à l’église pour l’office du soir. Il fallait voir quel accueil quand il traversait le monastère. Les frères faisaient la haie sur son passage. On disait … Chut! … Il a le secret! Le Père s’en allait en regardant autour de lui d’un air de complaisance les grandes cours plantées d’orangers, les toit bleus ou tournaient des girouettes neuves, et, dans le cloître éclatant de blancheur, - entre les colonnettes élégantes et fleuries - les chaoines habillés de frais qui défilaient deux par deux avec des mines reposées. Tem vespera, kron un ultima Angelus soni, u porta de u-ci misteri-lo apri no-soni; e u Reverenda pa kine ad eklesia pro vesper-ofice. O, u benveni an pa gene tem an pa trans u konventi. Plu fratri pa forma un fragma pro an. Mu pa dice: “Taci! An ski u sekreto!”. U Patri pa gresi fo ge-place e skope u mega korta de plu orange dendro, e plu ciano stego topo plu neo venti-ra gira, e in kandi klostra inter plu eleganta e ge-flori kolumni. Plu kanoni neo ge-vesti ki in plu bi-pe feno fo digni.
C’est à moi qu’ils doivent tout cela! se disait le Révérend en lui-même; et chaque fois cette pensée lui faisait monter des bouffées d’orguiel. “Mi pa don pan u-la a mu” u Reverenda pa dice a se; e singu kron u-ci pensi sti plu impulsi de auto-lauda in se.
Le pauvre homme en fut bien puni. Vous allez voir. U mali fortuna andro fu gene puni. Tu fu vide.
Figurez-vous qu’un soir, pendant l’office, il arriva à l’église dans une agitation extraordinaire; rouge, essoufflé, le capuchon de travers, et si troublé qu’en prenant de l’eau bénite il y trempa ses manches jusqu’au coude. On crut d’abord que c’était l’émotion d’arriver en retard; mais quand on le vit faire de grandes révérences à l’orgue et aux tribunes au lieu de saluer le maître-autel, traverser l’église en coup de vent, errer dans le choeur pendant cinq minutes pour chercher sa stalle, puis, une fois assis, s’incliner de droite et de gauche en souriant d’un air béat, un murmure d’étonnement courut dans les trois nefs. On chuchotait de bréviaire à bréviaire. Imagina! mo vespera, duranto service, an veni in eklesia in extremi konfusi; rubi, astma, u kapa obliqi, e ta ge-turba; e bapti u braki a kubita vice plu digi-akro in sakro aqa. Mu kredi prima; id es emotio ex veni po-kron; sed kron pe pa vide an face plu mega klina ad organi e a plu tribuna vice klina se ad alti, peti trans eklesia, vaga in kanta-lo tem penta minuta cerka an sedi-mo, po-co, sedi, klina se a dextro e laevo subridi stupidi, u murmuro de stupe pa ki in plu navi. Mu pa susura inter plu preka.
Qu’a donc notre Père Gaucher? Qu’a donc notre Père Gaucher? “Na Patri Gaucher habe qo turba? Na Patri Gaucher habe qo turba?”
Tout à coup, au beau milieu de l’Ave verum, voilà mon Père Gaucher qui se renverse dans sa stalle et entonne d’une voix éclatante: Subito, meso Ave verum Patri Gaucher bali se retro in an sedi-mo; e voci:
Dans Paris, il y a un Père Blanc, patatin, patatan, tarabin, taraban … “In Paris, il es un Alba Patri. Patatin, patatan, tarabin, taraban …”
Consternation générale. Tout le monde se lève. On crie: “Emportez-le … il est possédé!” Generali konfusi. Panto-pe sta. Mu voci: “Apo an, apo an! … An es ge-posesi!”
Les chanoines se signes. La crosse de monsigneur se démène … Mais le Père Gaucher ne voit rien, n’écoute rien; et deux moines vigoureux sont obligés de l’entraîner par la petite porte du choeur, se débattant comme un exorcisé et continuant de plus belle ses patatin et ses taraban. Plu kanoni kruci se. U krosa de Monseigneur akti furi. Sed Patri Gaucher vide nuli-ra, audi nuli-ra; e bi dina monako nece apo an dia mikro kori porta Lukta ko ge-exorcise, e dura an patatin e tarabin.
Le lendemain, au petit jour, le malheureux était à genoux dans l’oratoire de prieur, et faisait sa coulpe avec un ruisseau de larmes. Fu-di, u mana, u mali-fortuna andro es epi genu in ora-ka de Priori, e konfesi an kulpa ko multi lakrima …
C’est l’élixir, Monsigneur, c’est l’élixir qui m’a surpriss, disait il en se frappant la poitrine. “Id es u-la elixira, Monseigneur, qi pa kata mi”, an dice tipo u toraci.
Et de le voir si marri, si repentant, le bon prieur en était tout ému lui-même. U-ci penite sti emotio klu u boni Priori auto.
Allons, allons, Père Gaucher, calmez vous, tout cela séchera comme la rosée au soleil … À présent, voyons, dites-moi bien comment la chose vous est arrivée. C’est en essayant l’élixir n’est-ce pas? Vous aurez eu la main trop lourde … Oui, oui, je comprends. Dites-moi, mon brave ami, est-il bien nécessaire que vous l’essayiez sur vous-même, ce terrible élixir? “Veni, veni, Patri Gaucher. Relaxa! Un holo ra fu ki ab komo droso in sola. Nu dic a mi komo un holo-ra pa acide … tem testa un elixira, qe? Tu bibe mo alo bi no-nece guta? … Ja, ja! Mi logi! Dic a mi, mi boni ami, qe tu nece testa id per tu-auto, u-ci deino elixira?”
Malheureusement, oui, Monseigneur … l’éprouvette me donne bien la force et le degré de l’alcool; mais pour le fini, le velouté, je ne me fie guère qu’à ma langue … “Mali-fortuna ja, Monseigneur … U testa-tubi monstra a mi u forti e gradu de alkohol; sed, te perfekti, metri u veluta mi pote fide solo mi glosa …”
- Ah, très bien … Mais écoutez encore un peu que je vous dise … Quand vous goûtez ainsi l’élixir par nécessité, est-ce que cela vous semble bon? Y prenez-vous du plaisir? - ”Ah, ja! … Sed audi a qod mi dic a tu. Kron tu … nece … gusta un elixira … qe id place tu? Tu gene hedo?”
Hélas! oui, Monseigneur, fit le malheureux Père en devenant tout rouge … Voilà deux soirs que je lui trouve un bouquet, un arome! C’est pour sûr le démon qui m’a joué ce vilain tour … Aussi je suis bien décidé désormais à ne plus me servir que de l’éprouvette, tant pis si la liqueur n’est pas assez fine, si elle ne fait pas assez la perle … “Elas! ja, Monseigneur” dic u mali-fortuna Patri esce fo rubi. “Duranto bi vespera mi senti u tali buke, u tali aroma! Sura, id es u diabolo; qi pulsa mi. Mi pa decide; ex nu mi fu uti solo u testa-tubi. Il fu es mali-fortuna si u vina ne perfekti, si id ne face plu buli …”
Gardez-vous-en bien, interrompit le prieur avec vivacité. Il ne faut pas s’exposer à mécontenter la clièntile … Tout ce que vous avez à faure maintenant que vous voilà prévenu, c’est de vous tenir sur vos gardes … Voyons, qu’est-ce qu’il vous faut pour vous rendre compte? Quinze ou vingt gouttes, n’est-ce pas? “Kura! Kura!” dic u Priori tako. “Na ne nece vexa na plu klienti. Tu nece akti kura nu tu gene monito. Tu nece akti kura! Las na pensi. Tu nece habe qanto te judika? Mo-pen alo bi-ze guta, qe?
… mettons vingt gouttes. Pour prevenir tout accident je vous dispense dorénavant de venir à l’église. Vous direz l’office du soir dans la distillerie … Et maintenant allez en paix, mon Révérend, et surtout … comptez bien vos gouttes … … posi bi-ze guta. Te evita ali speci mal-acide ex nu mi dice; tu ne nece veni ad eklesia. Tu fu dic u vespera ofici in laboratori … E nu, ki ab in paci, Reverend, e su toto numera tu plu guta …”
Hélas! le pauvre Révérend eut beau compter ses gouttes … le démon le tenait, et ne le lâcha plus. Elas! U mali fortuna Reverenda vani numera plu guta … U diabolo habe an; e nuli-kron fu libe an.
C’est la distillerie qui entendit de singuliers offices! U distileri pa audi plura fo-xeno ofici.
… Le soir, quand les simples étaient infusés et que l’élixir tiédissait dans de grandes bassines de cuivre rouge, le matyre du pauvre homme commençait. Tem vespera, kron plu herba infusi; e un elixir es meso-termo in plu mega rubi-kupra kratera; u martira de mali-fortuna andro komence.
… Dix-sept … dix-huit … dix-neuf … vingt! … mo-set … mo-ok … mo-non .. bi-ze!
Les gouttes tombaient du chalumeau dans le gobelet de vermeil. Ces vingt-là, le Père les avalait d’un trait, presque sans plaisir. Il n’y avait que la vingt et unième qui lui faisait envie. Oh! cette vingt et unième goutte! … Alors, pour échapper à la tentation il allait s’agenouiller tout au bout du laboratoire et s’abîmait dans ses patenôtres. Mais de la liqueur encore chaude il montait une petite fumée toute chargée d’aromates, qui venait rôder autour de lui, et, bon gré, mal gré, le ramenait vers les bassines … Plu guta kade ex tubi ad-in rubi kalici. U Patri gluto plu-la bi-ze proxi minus hedo. Id es u guta bi-mo; qi sti an! O, u-ci guta bi-mo! … Alora, te salva se ex dilema an ki a dista fini de laboratori; e bali se ad-in plu paternostra. Sed, ex dura termo liqi veni ana mikro fumi ple de plu aroma; qi veni vaga peri an; e trakto an, volu alo no-volu, a plu kratera …
La liqueur était d’un beau vert doré … Penché dessus, les narines ouvertes, le père le remuait tout doucement avec son chalumeau, et dans les petites paillettes étincelantes que roulait le flot d’émeraude, il lui semblait voir les yeux de tante Bégon qui riaient et pétillaient en le regardant … Allons! … encore une goutte! U liqi es u kali kriso kloro … Klina supra id, plu nari aperi, u Patri sti gira id kura ko kaluma; e in plu-la mikro scinti ge-gira in fo-kloro liqi, an feno vide plu oku de Tanta Begon; qi ride e scinti … Veni, veni! mo pluso guta!
Et de goutte en goutte, l’infortuné finissait par avoir son gobelet plein jusqu’au bord. Alors, à bout de forces, il se laissait tomber dans un grand fauteil, et le corps abandonné, la paupière à demi close, il dégustait son péché par petits coups … E per guta po guta, u mali-fortuna andro pa fini ko vitri ple a margina. Po-co, a fini de resista, an lase se kumbe in mega braki-mo, lose holo resista, plu oku semi ge-klude, an pa fru auto peka per plu mikro bibe …
Le plus terrible, c’est qu’au fond de cet élixir diabolique, il retrouvait, par je ne sais quel sortilège, toutes les chansons de tante Bégon: U maxi deino es; a funda de u-ci diabolo elixira, an re trova per mi ne ski qo magika, panto kanta de tanta Begon.
Ce sont trois petites commères, qui parlent a faire un banquet … et toujours la fameuse des Pères blancs: Patatin, patatan. “Il es tri mikro lali-fe; qi lali de fac u festa … e panto-kron u famo-ra de Plu Alba … patatin, patatan.”
Pensez quelle confusion le lendemain, quand ses voisins de cellule lui faisaient d’un air malin - Eh! eh! Père Gaucher, vous avez des cigales en tête, hier soir en vous couchant. Tu pote imagina an konfusi fu-di, kron an plu para-pe joko dice; “Eh! Eh! Patri Gaucher, tu pa habe plu boni cikada in kapita pa vespera kron tu pa kli se.”
Alors, c’étaient des larmes, des désespoirs, et le jeûne, et le cilice, et la discipline. Nu pa veni plu lakrima, no-spe, no-vora, e u kapila-kamisa, e u flagela.
Mais rien ne pouvait contre le démon de l’élixir; et tous les soirs, à la même heure, la possession recommençait. Sed nuli-ra pote pulsa retro un elixira demoni; e panto vespera, tem homo hora, u posesi re proto.
Pendant ce temps, les commandes pleuvaient à l’abbaye que c’était une bénediction. De jour en jour le couvent prenait un petit air de manufacture. Il y avait des frères emballeurs, des frères étiqueteurs, d’autres pour les écritures, d’autres pour le camionnage; le service de Dieu y perdait bien par-ci par-là quelques coups de cloches; mais les pauvres gens du pays n’y perdaient rien, je vous en réponds … Duranto u-ci tem, plu komanda pluvi ad-in monako-do. Id es u veri benefice. Ex di a di u konventi ma e ma sembla u fabrika. Il es plu involve-fratri, bileta fratri, kalkula fratri, e transporta fratri. Ka-co, plu Teo service lose posi ci e la plu bombo de kampani; sed plu loka pove-pe pa lose ze-ra tu pote senti sura.
Et donc, un beau dimanche matin, pendant que l’argentier lisait en plein chapitre son inventaire de fin d’année et que les bons chanoines l’écoutaient les yeux brillants et le sourire aux lèvres, voilà le Père Gaucher qui se précipite au milieu de la conférence en criant: A-kron mo kali domenika-mana, tem u kanzela in ple kapitu pa du lekto un anua konto; e plu boni kanoni audi an ko plu radia oku, e sub-ridi epi labia, Patri Gaucher bali se a meso konference, e voci;
C’est fini … je n’en fais plus … Rendez-moi mes vaches. Je suis en train de me préparer une belle éternité de flammes et de coups de fourche … je bois et je bois comme un misérable … “Mi es a fini. Mi ne pote akti plus. Dona versi a mi mi plu bovi. Mi prepara se u pan-tem de flama e furka punge. Mi bibe e bibe. Mi es u mali-fortuna andro!”
Mais je vous avais dit de compter vos gouttes. “Sed mi pa dic a tu de numera plu-la guta.”
“Ah! bien oui, compter mes gouttes! c’est par gobelets qu’il faudrait compter maintenant … Oui mes Révérends, j’en suis là. Ah! bene! numera mi plu guta! … Nu, na nece numera in plu holo vitri. Ja, mi plu Reverenda, mi pa gene ad u-la punkta.
Trois fioles par soirée. Vous comprenez bien que cela ne peut pas durer … Aussi, faites faire l’élixir par qui vous voudrez … Tri botilia u vespera. Tu logi, u-la ne pote dura. Tu fu nece sti face un elixira un hetero-pe.”
Mais, malheureux, vous nous ruinez! criait l’argentier en agitant son grand livre. “Tu idiota! Tu fu ruina na!” voci u valuta-pe osci an mega bibli.
Préférez-vous que je me damne? “Qe, tu volu; mi damna se?”
Pour lors, le Prieur se leva. Nu, u Priori sta.
Mes Révérends, dit il en étendant sa belle main blanche où luisait l’anneau pastoral, il y a moyen de tout arranger … C’est le soir, n’est-ce pas, mon cher fils, que le démon vous tente? “Mi plu Reverenda, an dice extende an kali alba manu; epi qi radia u pastora digi-zo. Il es u mode de ki peri u-ci mikro no-facili … Id es tem vespera, qe? mi filio, kron u diabolo ago tu?”
Oui monsieur le prieur, régulièrement tous les soirs … Aussi, maintenant, quand je vois arriver la nuit, j’en ai, sauf votre respect, les sueurs qui me prennent. “Ja, sinior Priori, panto vespera. Nu, kron u noktu veni, mi komence sudo.”
Eh bien! Rassurez vous … Dorénavant, tous les soirs, à l’office, nous réciterons à votre intetion l’oraison de saint Augustin, à laquelle l’indulgence plénière est attachée … Avec cela, quoi qu’il arrive, vous êtes à couvert … C’est l’absolution pendant le péché. “Bene! Habe fide … Ex nu, panto vespera, na fu preka pro tu u preka de sakro Augustina; qi dona ple pardo. Kon u-ci kron uno-ra acide, tu gene imedia pardo. Id es pardo duranto peka.”
Oh bien! alors merci, monsieur le prieur! “Oh, bene! Gratia monsieur le Priori!”
Et, sans en demander davantage, le Père Gaucher retourna à ses alambics, aussi léger qu’une alouette. Effectivement, à partir de ce moment-là, tous les soirs à la fin des complies, l’officiant ne manquait jamais de dire; prions pour notre pauvre Père Gaucher, qui sacrifie son âme aux intérêts de la communauté … Oremus Domine … E minus demanda plus, u Patri Gaucher ki versi ad an plu retorti, iso levia de alauda. E veri, ex u-la momenta, panto vespera a fini de komplin, un oficianta nuli-kron fali dice; “Lase na preka pro Patri Gaucher; qi dona an psiko pro profito de komunita … Oremus Domine …”
Et pendant que sur toutes ces capuches blanches, prosternées dans l’ombre des nefs, l’oraison courait en frémissant comme une petite bise sur la neige, là-bas, tout au bout du convent, derrière le vitrage enflammé de la distillerie on entendait le Père Gaucher qui chantait à tue-tête; U preka pa du kursi komo u mikro venti supra panto-ci albi kapuci, prosterna in umbra de navi. E la, a dista fini de konventi poste rubi lumi de fenestra, pe audi u Patri Gaucher kanta fortisimo;
“Dans Paris il y a un Père blanc, patatin, patatan, tarabin, taraban … “Un Alba Patri in Paris, patatin, patatan, tarabin, taraban …”
… Ici le bon curé s’arrêta plein d’épouvante: Ci, u boni kure sto, ple de fobo …
… Miséricorde! si mes paroissiens m’entendaient! “Miserikordia! si mi plu paroki-pe pote audi!”

Du livre Ashby, Wendy/ Clark, Ronald: “Français - Glosa 1000”, © Glosa Education Organization, Richmond, UK, 1992.

Fast links: Interglossa » Glosa »

L'élixir du révérend Père Gaucher - May 9, 1869 - Committee on language planning, FIAS. Coordination: Vergara & Hardy, PhDs.